Textes des participants « Le papivore »

Dans cet article vous trouverez les productions des participants de l’atelier d’écriture Bruits de Langues sur le sujet « Le papivore » (06/02/2018)

Consigne ; Vous êtes un mangeur de livres. Faites le témoignage de la dégustation
Contraintes ; Écrire à la première personne. Adopter le sens figuré ou le sens propre ou jouer sur la combinaison des deux.
(Pour celles et ceux qui n’ont pas pu participer aux ateliers, envoyez-nous un mail à lesfabulations@gmail.com pour recevoir les programmes d’écriture complets et participer à l’instant « scène ouverte » qui aura lieu lors de la lecture publique du 1er Mars au Bibliocafé à Poitiers)

£’ivre

Je n’en dors plus. L’obsession me poursuit jusque dans les retranchements les plus marginaux du cadran, les heures, perdues, imbues, oubliées. La ville ne dort jamais, dévolue de sa passion de papier. Le papier, le précieux papier. 160×82 centimètres de plaisir, la pornographie en version 2D. Les demandeurs peuvent surgir à n’importe quelle heure de la nuit. Comment leur en vouloir ? Il est l’encre de la vie, l’élixir de toutes les envies. Une myriade de possibles en format imprimé. Sans lui, plus de saveur, plus de raison d’exister. Un système entier qui repose sur ses aliénés.

Minuit. Je suis seul, enserré entre les façades, une lumière au creux de mon œil unique. Mendiante à la richesse infinie, j’ai l’allure à la fois sobre et sordide. Mon existence est le reflet d’une société normée dont je suis l’interface de la médiocrité, la plaie ouverte pourtant tolérée. Vous l’aurez compris : je suis celle qu’on ignore quand l’on en a pas la nécessité, mais vers laquelle on se précipite pour percevoir sa dose. Sorte de déesse en stand-by parmi les hommes, je représente cette puissance invisible, omniprésente, qui exauce les prières de la chair en échange de celle des porte-monnaies. Aucun crédit toléré.

Minuit, la silhouette hésite, volubile. Ses contours se dessinent avec de plus en plus d’acuité tandis qu’elle se précipite sur mon ventre de vénalité. Fébrile d’espoirs nocturnes, le mâle me jette un coup d’œil honteux, rendu obligatoire par ce qui lui reste d’humanité, puis replonge la main dans son portefeuille. Portefeuille. Un artefact dont le seul nom est métonymie de tous mes espoirs.

Rasséréné par le souvenir de quelque pécule, il déglutit en tendant les doigts vers moi. Je demeure immobile. A lui de choisir. Je suis à la carte. A sa carte. Un sourire de métal s’esquisse sur mon visage d’ordinaire immuable. A n’importe quelle heure, il vient toujours quelques âmes perdues – résident du quartier ou touriste égaré – pour m’apporter ma ration, tribut de mon travail sans horaires, réduit à la simple obtention d’un salaire. Au comble de l’excitation, je le laisse pianoter ma sensibilité, émettant ça et là quelques mélodies de synthèse, notes ressorties indifféremment à tous mes clients en anticipation de leurs frais.

Je suis automatique. Une machine humanisée, réduite à avaler, recracher. Toujours disponible, 24/24 en roue libre. Je m’impatiente. Le nouveau-venu ne sait pas ce qu’il veut. On ne sait jamais ce qu’on désire tant que l’on en a pas besoin.

Cent-quarante. Ce sera mon prix du soir. Plus trois pour-cents d’intérêts pour punir son infidélité. Sans attendre, il saigne mon enseigne. Je m’extirpe de ma passivité et brasse la matière de son intérêt. Enfin, le moment tant espéré. La jouissance m’emplit les entrailles, je lui donne à regret le produit de sa venue espérée dans un ultime baiser de papier. Voulez-vous un ticket ?

Je suis le trader de la rue. Une banque de trottoir. Le parloir des dernières économies, des relations ruinées, des projets sans volonté. Je console les peines par la sueur de leur travail, consomme l’oseille à l’intérieur de mon sérail. Ils disent qu’il n’a pas d’odeur, c’est faute de ne pas le porter en bouche à défaut du cœur. Encore. J’en veux encore et j’en aurai. Bientôt l’inconnu qui n’a pas dit son nom s’en va dans les creux laissés entre les lampadaires, satisfait.

Statique, je retrouve pour ma part cette sensation de paix manquant d’être comblée, qui m’incombe autant qu’elle me caractérise. Prolétaires de tous pays, vos manifestes sont tombés en désuétude, vous payez comme tous les autres. Quant à moi, je compte sur la frénésie du capital pour exploiter vos failles tandis que vous spéculez pour investir mes entrailles.

Viol consenti d’une génération dégénérée à l’économie, mon râle final est libéral, ma morale mortier de l’illusion générale. Ma mission ? Elle tient en une devise : je délivre les livres qui vous livrent à vous-même.

Hildegard Leloue

____

Considérez la question suivante : qu’est-ce que dévorer un livre ? Non, non, ajoutons à cela un peu de fantaisie : qu’est-ce que dévorer… un livre de cuisine ? Quelle cuisine il s’efforce d’enseigner, de présenter, de transmettre, je n’en ai pas grand-chose à faire : l’important est qu’il soit rempli de belles images de couleur, de chiffres précis et d’un brin d’inventivité culinaire. Alors prenons-le, ce livre, là, par exemple. Sa couverture rigide – parce qu’après tout, lorsqu’on paie un livre à plus de vingt euros, c’est la moindre des choses, d’avoir une couverture rigide –, sa couverture rigide a une texture mate. Lorsqu’on s’y agrippe et qu’on passe ses doigts dessus, elle ne grince pas comme les couvertures lisses et brillantes de certains livres, non, c’est bien plus agréable, ça caresse la langue et le bout des doigts comme lorsqu’un velours de qualité glisse dessus, ça émet un fuissement – vous savez, ce frottement, mais en bien plus doux, un fuissement – à vous en faire frémir la nuque. Elle est alléchante, cette couverture, d’ailleurs : cuisine japonaise, cette fois-ci. Il faut bien varier ses habitudes avec un peu d’exotisme, n’est-ce pas ? Un alléchant katsudon – du porc pané, qu’on appelle tonkatsu, sur un lit de riz – me fait de l’œil. Ah, comme sa texture dorée donne envie. Malheur, il y perd déjà un croc. Vilain ! Sagouin ! Comment oses-tu ? Le repas n’a pas encore commencé ! Je m’excuse. Enfin non, je vous prie de me pardonner. Voilà qui est déjà plus poli.

Lorsqu’on ouvre le livre de cuisine, donc, on est tout de suite enivré par sa forte odeur : c’est comme si toutes les saveurs avaient été enfermées, cristallisées à l’imprimerie et qu’on les libérait comme une boîte de Pandore dans laquelle les plus grands chefs nippons auraient enfermé tous les délicieux mets de leur archipel. Le titre est gravé sur la première page, en lettres romaines et en kanjis pour souligner qu’il s’agit de cuisine japonaise – au cas où on ne l’aurait pas déjà remarqué –. Puis après le titre vient le sommaire : rectangles colorés et numérotés où sont partiellement affichés les plats, comme des danseuses de cabaret dont le dévoilement progressif de la chair des jambes et des seins tiendrait en haleine leur public masculin – allons ! Ne fais pas ça !

C R O C , C R O C , C R O C !

Enfin, tu l’as avalé en trois bouchées ! N’as-tu donc aucune retenue ?! Oh, il va falloir nettoyer tout ça… Comme tu m’insupportes ! Allez, ouste, et reviens lorsque tu seras calmé !

Eh bien… Il semblerait que tout soit déjà fini, qu’il n’y en ait plus. Me voilà bien embarrassé : moi qui comptait vous détailler l’incroyable saveur de la sauce soja salée de la page 14, ou même le piquant redoutable du mapo tofu de la page 57, j’ai à peine pu évoquer le sommaire à vous en mettre l’eau à la bouche – tellement d’eau, d’ailleurs, que la page en était toute gondolée –. Il semblerait que mon fils ait encore du mal à se contrôler. Pourtant, ce n’est pas faute d’essayer ; parce que oui, j’ai tout essayé ! Les livres d’aventure, tous dévorés, à tel point qu’il s’est mis à vomir serpents, voleurs et trésors en tout genre. Le roman à l’eau de rose, n’en parlons pas, son haleine florale empestait toute la maison, et je ne préfère même pas parler du jour où il s’est mis à la rubrique nécrologique du journal. L’autre fois, c’était une encyclopédie pharmaceutiques, si bien qu’on retrouvait dans son lit des comprimés pour la gorge, et même leur équivalent générique (comprenez, il est encore jeune, les accidents nocturnes, ça arrive à cet âge). Sa mère et moi, nous n’en pouvons plus. Nous l’aimons, bien évidemment, et rien ne changera jamais cela, mais nous sommes tout de même très inquiets. Pas plus tard qu’hier, je l’ai arrêté avant qu’il n’entame un traité de physique nucléaire, et lorsque nous sommes allés chez son grand-père la semaine dernière, c’est un numéro spécial de Pêche et Chasse consacré aux meilleurs fusils qui a failli lui passer sous la dent. Il demande une attention bien trop grande, et entre mes rondes nocturnes à l’imprimerie et les heures d’ouverture de la librairie de mon épouse, nous devons sans cesse nous relayer pour éviter que notre bibliothèque ne se vide.

Mais le pire dans tout cela, c’est que j’ai l’impression que sa manie déteint sur nous. Ce livre de cuisine, rien ne dit que je ne l’aurais pas croqué si mon fils ne l’avait pas fait pour moi. Je me trouve nerveux au travail ces derniers temps, l’encre du Figaro me monte à la tête, et mon épouse ne semble plus emmener son repas le midi. J’ai un peu peur, je vous l’avoue.

Si ça continue comme, peut-être que moi aussi, bientôt, comme mon très cher fils, je mangerai papier, livres, et peut-être même billets, chèques et factures d’électricité. J’ai besoin d’aide. Qui que vous soyez, où que vous soyez, venez nous secourir, et sauvez toutes ces feuilles innocentes. Il y a une forêt qui borde notre maison, et j’ai bien peur qu’un jour…

Lucas Maupin

____

Je ne me souviens plus très bien du tout premier livre que j’ai dévoré. Je crois que c’est ma mère qui m’a donné ma première becquée littéraire. Un délicieux imagier, délicatement parfumé d’illustrations colorées. S’en est suivie une longue dégustation de tout genre. D’abord des histoires courtes, pour se faire la main, ça se digère rapidement. Puis des plus longues, plus je mangeais de livres, plus mon appétit grandissait. La bibliothèque de mon école ne contenait plus suffisamment de saveurs, il fallait que j’en trouve de nouvelles ailleurs. Alors ma mère m’aidait à chercher de nouveaux ouvrages à me mettre sous la dent.

Je suis devenue une grande mangeuse de livres. Du roman d’aventure, qui donne des sursauts à l’estomac (la digestion n’est pas facile pour ce genre d’ouvrage, pour peu qu’il contienne un ou deux dragons), des histoires d’amour, parfois trop parfumées à l’eau de rose, du fantastique qui a tendance à faire basculer les papilles dans un autre monde.

A l’école, on continua de nous faire ingurgiter du livre. Des classiques renfermant des leçons parfois dures à avaler, des manuels d’histoire, de géographie et de français qu’il faut lentement mastiquer si on ne veut pas faire une indigestion, mais aussi parfois des découvertes inattendues qui restent en bouche pendant un moment.

Et un jour, vers 13-14 ans, je suis tombée sur un met particulier. Un cadeau au fumet délicat, goût roman d’ado. Dès le premier chapitre, j’ai su que j’avais trouvé là quelque chose à me mettre sous la dent. Ni trop salé, ni trop sucré, l’histoire m’a tout de suite plongé dans des saveurs que je n’avais encore jamais goûtées. Certains passages m’ont laissé un goût amer, avec une boule dans la gorge. D’autres étaient assez épicés pour me mettre les larmes aux yeux. D’autres encore m’ont retourné, à me mettre presque le cœur au bord des lèvres. Avec ce livre j’ai ris et j’ai pleuré, avalant chaque chapitre comme si ma faim ne pouvait être contentée. Ce livre je ne l’ai pas mangé, je l’ai dévoré. Et je continu encore parfois d’en mastiquer un bout, juste un petit bout, pour retrouver cette saveur de mon adolescence. On dit que l’appétit vient en mangeant mais c’est un livre qui se mange sans faim. Aujourd’hui encore je dévore des livres de tout genre, car on aura beau dire ce qu’on veut, la gourmandise n’est pas toujours un vilain défaut…

Pauline Hocquette

____

Atropopotaxe

Post Peser sur Pesant

avant toucher avec les yeux

Appétissant

Combien de pays de mots de caractère de cochon

Quand j’ai faim je mâche les mots à mots des autres

Je les goûte d’abord du bout des livres, puis je croque à pleines dents

Grosse faim. Gros pavés

Petite faim. Petits texticules

Pic et Pic à Gauche adroite

Mordre dedans dessus dessous

Goulue je suis quand

je digère phrase j’assimile paragraphe

je recrache tranches reliures

Parfois Repue vomir mot après mot

Tome après tome. Rideau !

Isabelle Grosse

Auteur : lesfabulations

Ateliers d'expression créative en Nouvelle-Aquitaine Structure dirigée par Marie Gréau et Mathilde Durant

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s