Dans cet article vous trouverez les productions des participants de l’atelier d’écriture Bruits de Langues sur le sujet « Leçon d’anatomie » (07/02/2018)
Consigne ; Faire parler la langue (l’organe)
Contraintes ; Adopter la première personne du singulier. Accorder une importance à la dimension anatomique.
(Pour celles et ceux qui n’ont pas pu participer aux ateliers, envoyez-nous un mail à lesfabulations@gmail.com pour recevoir les programmes d’écriture complets et participer à l’instant « scène ouverte » qui aura lieu lors de la lecture publique du 1er Mars au Bibliocafé à Poitiers)
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Je ne sais pas pourquoi on dit de moi que je suis bien pendue. Je reste pourtant la plupart du temps bien au chaud, protégée dans ma caverne que je partage avec une armée de broyeurs et mastiqueurs professionnels. Ils ne sont pas très loquaces et n’aiment pas trop sortir. Du coup, je m’emmerde un peu dans cette bouche pas assez aventureuse à mon goût. Nous ne sommes pas assez considérées nous, les langues. On ne se rend pas compte de notre temps de travail ! C’est grâce à nous si vous sentez tous ces goûts, ces odeurs, ces sensations. Bon, il faut avouer que chacune d’entre nous a ses préférences. Il m’arrive d’être un peu aventurière et de tenter des choses. Si j’aime bien me faire violence avec des aliments d’autres horizons, l’estomac me rappelle que je ne suis pas seule à décider.. Il faut vous dire que je vis avec une colonie de gens qui ont tous un sacré caractère. L’estomac par exemple, est assez paresseux, il prend son temps pour digérer. Et quand un aliment trop épicé passe par là, il fait comprendre à tout le monde son mécontentement ! Le palais quant a lui, est très chatouilleux ! Il n’aime pas trop les phrases qui contiennent trop de « n » (essayez de dire « Une nantaise narcissique n’aime pas les nanas narcotiques » et vous allez voir comment je vais le chatouiller moi votre palais !). Je me demande parfois, ce que ça ferait d’être une langue de vipère ou d’avoir un cheveux sur la langue. Mais je suis une langue des plus ordinaires, muette la plupart du temps. Parler, c’est un travail d’équipe, et de longue haleine. Essayer de donner la parole à une langue et vous n’obtiendrez au mieux qu’une lèchouille humide, au pire un sifflement cinglant. Des réactions qui peuvent être parlantes mais je reste néanmoins muette. Je suis obligée de composer avec les autres, et je dois bien l’avouer, je suis un peu égoïste mais c’est ma fonction qui veut ça. Imaginez vous aller au casse-pipe à chaque fois qu’un aliment nouveau vous arrive en bouche ! Piquée, brûlée, gelée, noyée, vous n’imaginez pas ce que je subis au quotidien ! Enfin, il arrive parfois que je fasse des rencontres. Elles ne sont jamais anodines, parfois douces, des fois coquines, mais toujours humide. Jamais sèche, je me baigne constamment. Je suis comme un poisson dans l’eau. Alors oui, il m’arrive de me plaindre, mais en fin de compte, ma condition n’est pas la pire. Je plains souvent les lèvres ou les pieds, qui doivent beaucoup plus souffrir. Pour finir, si je n’avais qu’un mot à vous dire, c’est prenez soin de vous, de la tête aux pieds et de la langue aux genoux.
Pauline Hocquette
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Prisonnière
Enchaînée, sans aucune possibilité de m’échapper, jamais.
Je me démène, désespérée.
Je connaîtrais le monde pourtant, je le veux.
Je le crie, j’en suis sûre.
Je connaîtrais l’amour et je mouillerais tous ces baisers.
Je connaîtrais le feu, l’amertume, la douleur et la douceur.
Je m’élancerais fougueuse vers le monde, je serais avide et curieuse.
Je serais ambitieuse, agile et volubile, fière et orgueilleuse.
Je cracherais mon fiel
Je claquerais comme un fouet avant de pendre, haletante, pendant un instant, un instant flottant où le mal est fait, où chacun le sait.
Et puis je me recroquevillerais.
Je me boucherais les oreilles, je reculerais à tâtons, je me réenroulerais bien vite, au fond, tout au fond, là où je ne peux rien, où je suis inoffensive.
Mais l’appel de l’ailleurs l’appel de la découverte, du savoir, est bien trop fort, je reviendrais évidemment.
Je referais les mêmes erreurs, encore et encore.
Lorsque j’apprendrais, il sera probablement trop tard. Mon agilité perdue, je serais condamnée à l’immobilité.
Ou bien personne ne m’écoutera.
Je serais réduite au silence.
Floriane Gitenay
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je je jeûne
rien à
plus que
je suis ta langue dedans
avalée feue la langue
rouletis tangage recroquevillée
rapprochement collée serrée palais gorge glotte
je glose j’ose
rouge clac fourchée
tourne tourne tourne tourne tourne tourne tourne
perdue tirée écartelée
je me donne aux dragons et ragondins
crapauds vipères veau
vache cochon
je me jette du haut des hauts tours
je sillonne papillonne
je tiens bon
Isabelle Grosse
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HAÏKUS
un secret pour moi
se taire est impossible
le palais m’entend
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étant mobile
dansante parfois et rugueuse
je mords les syllabes
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étalées partout
mes papilles sont bleues
douceur du curaçao
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doux ou épicé
du fond des cavernes
le goût me remonte
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comestible pourtant
le feu de la moutarde
raclements de gorge
Joële Fontaine
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HAÏKUS
flux et reflux
la langue dit « je »
langue de bois ?
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langue verte
je vais par les champs ouverts
de l’invention
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Joële Fontaine
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Passages marquants, stimuli variés aux origines multiples, interprétations possibles : inscrits. Liquide de vie qui coule dans la gorge : omniprésence du goût ferreux, dénué de celui des globules rouges. Capteurs actifs, déployés, récupération, transfert, traitement. Déglutition à fréquence 3 Hz. Mouvement rotatif, forme en U nécessaire, tension des muscles 010 à 015. Température à l’intérieur de la cavité buccale : 12°C. Arrêt du flux, repos semi-passif.
J’inscris toutes les procédures dans le journal. Le processeur interne qui m’est attribué calcule à vitesse de croisière. Rien à signaler.
Puis incident. Ouverture des lèvres par une force externe. Intrusion détectée dans la cavité buccale. Capteurs actifs, déployés, récupération, transfert, traitement. Toutes les branches sont sur le qui-vive. Contact des systèmes sensoriels pour obtenir un rapport sur la situation. Pas de réponse. Un appel d’air se crée. Liquide de vie d’origine externe identifié, présence de cellules salivaires et d’autres cellules biologiques inconnues. Danger potentiel pour l’organisme artificiel. Déglutition bloquée, processeur interne en surchauffe. Mouvement rotatif forcé, système nerveux en alerte, agression des parois internes par un muscle fibreux. Message du système olfactif, lecture : « souffle humain détecté, tous les postes immunitaires en défense ».
L’ordinateur central interrompt toute activité, les systèmes organisés sont court-circuités. De ma cavité je suis aveugle, la lumière n’entre plus à cause de l’invasion. Le système central indique qu’il va repousser la menace dans 3… 2… 1… Une secousse résonne soudainement dans la cavité. Elle me fait sursauter, elle fait trembler le système dentaire et l’entièreté du squelette d’acier. Bientôt, le liquide de vie d’origine externe change de nature. Densité supérieure au précédent liquide. Présence abondante de globules rouges, blancs, et autres cellules biologiques humaines présentes en grande quantité dans une substance qu’on appelle le sang. Reprise de la déglutition à 3 Hz, puis 4 pour s’adapter au flux.
Et finalement, l’air revient et sèche légèrement les parois. Invasion repoussée, le système nerveux pédestre indique qu’une masse d’environ 50 kg le recouvre. Déploiement de l’apex au bord du système labial, mouvement en arc de cercle afin de nettoyer les dernières gouttes pourpres qui y perlent, exécution, puis retour dans un état semi-passif après fermeture de la cavité.
Obscurité. Inscription n°1 dans le registre des incidents majeurs.
Lucas Maupin
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SLAM
La langue qui claque scate les mots
Elle jazze le tempo
Et frappe dans la tête
Où souvent elle s’entête
La langue qui danse chante les mots
Brûle les idées va crescendo
Emporte le vent avec les paroles
Offre aux slameurs son école
Un sonnet bien senti
Passe par les tercets
Et donne de l’appétit
Quand on goûte les mots
Les mots et la musique
Y’a plus de distingo
Joële Fontaine
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