Atelier d’écriture du 29.09.18 à la médiathèque d’Angoulême l’Alpha sur le thème de l’amour et de la sexualité.
Scénario* :
Les participants passent un entretien pour intégrer la Cuprod, une agence divine dirigée par Cupidon dont le but est de créer des coups de foudre. L’objectif des agents Cuprod est de faire naître l’amour à partir d’un détail physique. Au cours d’une déambulation dans l’Alpha, les écrivants observent discrètement les usagers pour relever des détails susceptibles de faire naître l’amour. *
Premier temps d’écriture : simuler un coup de foudre à partir du détail relevé.*
Deuxième temps d’écriture : se mettre à la place de la victime du coup de foudre, 20 ans plus tard.*
*Ces sujets sont des créations originales des Fabulations, ateliers d’écriture, projet représenté par
les personnes morales et physiques de Marie Gréau et Mathilde Durant. Ces créations sont
protégées par le droit d’auteur. Toute réutilisation ou exploitation des sujets sans l’autorisation
expresse des détentrices des droits pourra faire l’objet de poursuites judiciaires.
Pour visionner la vidéo récapitulative de l’atelier, rendez-vous ICI !
P R O D U C T I O N S
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Elle sort du métro, pressée. Elle a mal à la tête. Elle vient de travailler sur un projet fatiguant, stressant et elle a hâte de rentrer chez elle. Elle pense à son canapé douillet, enveloppant. Plus que cinq minutes et elle le retrouvera. Elle aura mis ses grosses chaussettes en laine angora, son pull troué et son vieux pantalon élimé. Elle ne rêve que de ça.
Soudain, alors que son esprit est pris tout entier par cette perspective de repos, son cœur s’emballe. Elle sent une attirance étrange et incontrôlée vers un objet inconnu, non identifié. Elle cherche autour d’elle l’objet du désir. Sans regard. Elle se laisse porter vers lui. Puis elle l’aperçoit. Il est là, devant elle. Il avance lentement. C’est un corps, merveilleusement équilibré, souple, détendu, presque aérien. Ses yeux se posent sur ses hanches, centre névralgique de cet équilibre. Elles ondulent légèrement. Elles sont presque immobiles et pourtant le point de départ d’un mouvement déconcertant. Elles provoquent comme un souffle, un léger déplacement d’air. Elles l’appellent à la transcendance, comme si chaque frémissement de chair la rendait légère, la soulevait vers le ciel, vers des possibles bleutés. Changer de cap, changer d’instant, changer de vie, changer…C’est ce à quoi l’invitent cette partie de lui, cette jonction entre le ciel et la terre, harmonieusement, avec grâce. Les mouvements des bras et des jambes, leur rythme, s’accordent aveuglément et dans une parfaite symbiose avec les hanches maîtresses, leur pivot, leur axe, leur pilier. Il avance vers elle, tangible, ancré, régulier, immuable. Ils vont se croiser puis il va s’éloigner. Il faut qu’elle pense à autre chose. Oui, elle va pouvoir se reposer, rentrer, se détendre. Mais il est là, tout près d’elle. Elle est irrésistiblement attirée. Elle se sent aspirée comme l’océan par la lune quand la mer se retire. Elle sent ses hanches si proches, alignées aux siennes. Elles sont son centre, son absolu. Mais déjà il s’éloigne. Elle veut le retenir. Elle se retourne. Elle ne le voit déjà plus. Mais peu importe. Elle le sait, sa vie a basculé. Le souvenir de ses hanches, de cette danse du corps et de cet équilibre parfait restera en elle à jamais.
Cinq ans que je suis au chômage et me voici enfin convoquée à un entretien. J’ai envie de ce travail. Il me correspond et je ne supporte plus cette trop pénible inactivité. L’enjeu est de taille. J’ai peur. Je me sens déstabilisée. Tout peut basculer aujourd’hui. Ma vie peut changer. Me voici devant le recruteur. J’ai les mains moites, les jambes qui tremblent. J’ai peur de bégayer. L’homme se lève pour aller fermer la fenêtre et quelque chose se passe en moi. Je me sens mieux, plus stable. C’est étrange et je ne comprends pas. Peu importe. L’homme commence : « Parlez-moi de vous ». J’ai préparé mon discours et je sais quoi dire mais je suis étonnée par sa fluidité, par ma faculté à passer d’un sujet à un autre. C’est comme une évidence, comme si quelque chose en moi réglait le rythme de mon discours, sa cohérence, au-delà des mots. Ce mouvement, cette certitude apaisante, cet équilibre. Je continue à parler et je sens cette force étrange, indéfinie et néanmoins connue, comme un souvenir lointain, flou, incertain et pourtant ancré dans mon corps, comme un relent d’amour, de passion soudaine. Oui, je me souviens de lui. Pas de son visage mais de ses hanches, de sa grâce. Depuis ce jour, il m’a guidée. Depuis ce jour, je n’ai cessé de l’aimer.
Claire
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L’amour fait flap flap.
Un papillon vole entre les rayons de la médiathèque. C’est un tatouage qu’un homme aperçoit derrière l’épaule d’une femme. Elle a de légères risettes aux coins des yeux et les couleurs du dessin bavent un peu. Ils ont vécu mais rien qui ne masque leur beauté. Le papillon incarne le symbole poétique de la liberté, de la fragilité, des romantiques au milieu des champs printaniers ; bref rien ne convenant mieux aux jeunes filles en fleur.
Elle semble si fragile. Et pourtant elle a côtoyé des hommes. Un beau papillon, cela ne vit pas longtemps. Pour leurs couleurs, la forme de leurs ailes et leurs tailles, on a vite fait de les épingler [voir tringler]. Certains vont jusqu’à les collectionner…
Il voit en elle quelqu’un de particulier. Après l’incuriosité naît le sentiment. Son attrait se développe en lui, comme la chenille se transforme en papillon et comme la fille en femme.
C’est marrant comme l’infime détail devient infini amour. Il se rapproche d’elle. Il a envie de respirer son parfum et de tout connaitre de sa vie. Son cœur s’emballe. Elle le fuit. Probablement inconsciente du danger et de ses intentions, elle continue de virevolter entre les livres. Elle vie sa vie de papillon.
Il ne sait comment communiquer avec elle. Un papillon, ça ne parle pas et n’émets aucuns bruits. Toutes ses expressions de l’amour sont pigmentées sur ses ailes, ne laissant que le choix d’utiliser le vocabulaire le plus abstrait au monde : le langage sensoriel.
Il remarque que cela rime avec le ciel, espace d’émancipation du papillon et de cupidon. L’amour n’est qu’une affaire de détails qu’il ajuste. Ceci explique pourquoi on reçoit le choc en plein cœur ou passe carrément à côté.
20 ans plus tard, mon papillon est mort. Cet ange insectoïde est retourné à la terre. Pour elle le processus de la vie s’est inversé. Mon beau papillon est enfermé dans un cercueil sorte de chrysalide humaine sans retour. Je suis atterré, presque à ses pieds. Les pierres tombales du cimetière ont remplacé les fleurs des champs. Je pleure pour la même personne mais pas pour la même raison.
D’ailleurs, vais-je la retrouver ?
Benoît
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France Inter. Il est 7h.
Les informations.
Léa s’enroule dans sa couette en pensant comme tous les jours que non vraiment, ce matin, c’est impossible. Elle n’ira pas travailler.
Un quart d’heure plus tard, sous la douche, elle fait le bilan de sa vie. Comme tous les jours. Et le quotidien déroule son fil, sans à-coup, dans une monotonie parfaite.
Léa traverse le hall d’entrée direction un ascenseur. Deuxième étage.
Bonjour Léa ! Bonjour !
Elle ne compte plus les « bonjours » matinaux échangés depuis son arrivée. Elle pense au sens du mot bonjour. Parmi tous les collègues qu’elle a salués, à qui souhaite-t-elle réellement un bon jour ?
Elle n’a pas la réponse.
Au moment d’entrer dans son bureau qu’elle partage avec Odile, la reine de la presse people, un homme l’interpelle… Bonjour, Pierre. Je travaille au service juridique.
Léa se fige dans une attitude légèrement méfiante. Elle prononce pour la dixième fois le mot bonjour et scanne son interlocuteur. Visage ouvert, sourire franc, une légère inquiétude dans le regard, une réelle envie de communiquer. Et une fossette, une fossette qui lui donne irrésistiblement envie de l’embrasser. Elle se sent désarmée et, curieusement, cette faiblesse soudaine la rend audacieuse. Elle s’entend dire malgré elle :
« On déjeune ensemble ? »
-Avec plaisir.
-A tout à l’heure.
Elle entre dans son bureau se maudissant pour cette audace qui la projette hors de sa zone de confort.
« Vous savez docteur, je ne pensais pas un jour m’allonger sur un divan mais j’éprouve le besoin de faire le point sur ma vie.
– Je vous écoute.
– J’ai 53 ans. Mariée. Un enfant. J’ai rencontré mon mari sur mon lieu de travail il y a vingt ans. Je ne sais comment qualifier notre relation. Harmonieuse ? Stable ? Agréable ? Ou devrais-je dire fade ? Résignée ?
– Qu’en pense votre mari ?
– Je ne sais pas. Il semble satisfait de notre vie quotidienne. Tout va bien. Tout va bien mais je me retrouve allongée sur votre divan. Je ne me retrouve pas dans les catégories « crise de milieu de vie », « quinqua frustrée éternellement insatisfaite », « femme ménopausée en plein bouleversement hormonal ».
– Je vois… »
Christiane
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C’est un matin d’automne assez banal somme toute. Il fait frais mais ensoleillé. La bonne humeur semble de mise ce matin.
C’est une créole magnifique. Elle rentre dans l’ascenseur avec une légère hésitation en le voyant. Étonnamment, une mèche de cheveux tressés s’échappe de sa tignasse chahutée. Cette mèche particulièrement bien travaillée contraste avec le désordre de cette chevelure et l’attitude désinvolte que laisse transparaître cette jeune femme. Il est troublé et s’interroge. Est-ce volontaire de sa part ? Veut-elle jouer avec l’ambiguïté ? Ses mains sont soignées, son look est négligé, son corps est magnifique. Son regard amusé et son sourire lubrique laissent présager une réelle invitation au jeu.
Et cette mèche trop bien ficelée qui enroule son cou si bien dessiné ne peut être qu’une invitation à s’engager plus loin dans son décolleté. Il a chaud le jeune homme. Son décolleté est lui aussi très bien travaillé. Son tee-shirt est saillant sans être trop serré, juste assez pour former quelques plis symétriques invitant le regard à les suivre. Elle veut vraiment jouer la belle.
C’est un véritable jeu de piste. Elle a bougé. Sa mèche s’est déplacée. Elle file tout droit entre ses omoplates. Ce cou si fin, ces épaules menues mais légèrement en V, tout mène vers ses hanches sublimes.
Elle est vraiment magnifique. Il ne peut plus résister. Après quelques mots étranges, il l’a simplement embrassée.
Arnaud
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Perdue dans ses pensées, elle attendait l’ascenseur. Un petit garçon devant elle s’impatientait et gigotait d’énervement. L’ascenseur arriva enfin mais l’enfant impatient ne fut pas satisfait.
« Papa les bras, papa ! »
Des bras l’attrapèrent et tout le monde s’engouffra dans l’étroite boîte transparente.
Elle le va les yeux ver le petit blondinet maintenant silencieux. Et elle l’aperçut, lui. Un sourire bienveillant sur son visage tourné vers son enfant.
Au milieu de ce doux visage, son regard fut capté par son nez. Cyrano, elle pensa tout de suite à Cyrano. Il était long mais fin, ses narines fines et bien dessinées. Un cap, une péninsule, hypnotisant. Lorsqu’il lui sourit, ses plis l’entourèrent et quelques rides plissèrent la petite bosse présente sur son dessus. Comment le faire sourire à nouveau pour revoir ces charmantes petites rides ?
Lorsqu’il se tourna à nouveau vers son fils, elle le vit de profil. De la force, du caractère, c’est ce qu’elle ressentit face à ce nez à la courbure parfaite et forte. Puis la sidération apparue. Elle était incapable du moindre mouvement, ses jambes semblaient ne plus lui répondre. Son sourire resta figé sur son visage et ses yeux ne pouvaient plus se résoudre à changer de direction. Il la regarda à nouveau, gêné par ce regard perçant. Il sourit d’un air poli cette fois. Et ce sourire fit à nouveau apparaître le froncement tant attendu de son nez mais en moins profond cette fois-ci. Les palpitations de son cœur s’accélérèrent. Plus rien d’autre n’existait que ces fines striures sur le nez de Cyrano.
20 ans plus tard :
Les premières lueurs du jour filtraient à travers les volets de ma chambre. J’ouvris les yeux, encore ensommeillée. Je m’étirais doucement, lové dans la douceur des draps en flanelle.
« Debout ma chérie, le petit déj’ est prêt. »
« Encore cinq minutes ! » lui répondis-je.
« D’accord mais dans 5 minutes, je retire la couette. »
Je me remis en boule, la tête sur l’oreiller.
S’il savait… s’il savait que cette nuit j’avais encore fait ce rêve.
Sous les draps j’essayais de ressentir à nouveau ce que j’avais ressenti cette nuit. Les papillons dans le ventre, les jambes qui tremblent… et Cyrano.
Je revivais sans cesse cette scène, l’ascenseur, le sourire et les petites rides sur le nez. Puis le rêve prenait fin comme toujours, lui qui descend de l’ascenseur et les portes qui se referme. Mon silence.
2à années à rêver de cet inconnu. De ce mystère. Je me suis construit pourtant une jolie vie, avec un mari aimant. Il m’a tout donné et m’a aimé comme personne.
Et pourtant, lorsque je revois Cyrano en rêve je donnerais tout pour vivre ça à nouveau. Les palpitations, les tremblements et tout le cocktail hormonal détonnant d’une rencontre.
Et puis le rêve se dissipe. Je me lève, prend une bonne douche et me rend dans la cuisine.
« Ah ! Te voilà enfin ! Tiens ton café ! »
« Merci ! »
Et là je me souviens, les fous rires, les discussions jusqu’à deux heures du matin pour refaire le monde, nos enfant… Non, je n’échangerais ça pour rien au monde. Et sûrement pas pour un doux fantasme.
Après tout, ce qui se passe dans nos rêves n’appartient qu’à nous. Et lui, je l’aime pour ce qu’il est, avec ses qualités et ses défauts.
Elodie
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Ce vendredi après midi devait être le bon ! Enfin un créneau pour aller acheter les sous-vêtements qui faisaient tant défaut dans sa commode. Libérée de son travail, Sidonie se rendit donc dès 15h aux galeries de la ville à la recherche de nouveaux soutien-gorges.
Elle pénétra dans le secteur et se mit à arpenter les rayons, laissant traîner son regard sur les couleurs, les textures, portant sa main sur une pièce pour se rendre compte de l’épaisseur du tissu, en évaluer la douceur, la solidité. Tout en contournant une gondole, elle fût surprise de voir là, un homme occupé lui aussi à toucher un soutien-gorge de couleur chair, de manière hyper concentrée. L’homme lui tournait partiellement le dos, et elle ne put donc voir à quoi il ressemblait réellement. De stature petite, bien campé sur ses jambes, l’homme portait un vieux jean noir et un sac à dos « crado-vieillot » se dit-elle. Sidonie s’apprêtait à changer de rayon pour ne pas risque de gêner le trentenaire négligé par une trop grande proximité quand un détail l’interloqua. Elle remarqua ce petit espace offert à sa vue, une toute petite zone, en dessous du lobe de l’oreille de l’homme. Un espace de peau où la barbe de trois jours aimanta son regard quelques secondes. Des secondes bien plus longues que celles habituellement consommées dans la rencontre furtive avec un inconnu quelconque.
Sidonie avait contourné le bout de la gondole et s’était arrêtée là, à considérer le premier soutien-gorge venu, un truc moche à souhait qu’elle n’aurait jamais choisi de toute évidence. Discrètement, doucement, elle décala son corps pour retrouver l’homme dans son champs de vision et vérifier… Vérifier sa présence. Elle regarda à nouveau cette zone à demi cachée de son visage qui venait de la mettre en trouble. Lui était toujours là. Il avait reposé le sous-vêtement et s’intéressait au même modèle dans une autre couleur.
Sidonie observa plus attentivement la mâchoire de l’homme. Ici, sous son lobe d’oreille, du poil brun qui semblait à la fois doux et fort parsemait une peau claire et lisse. Juste au dessous, l’oreille, délicatement dessinée, de taille moyenne, semblait parfaite. Une oreille idéale sur le visage d’un humain. Et puis cette barbe clairsemée.
Cette barbe qui disait des choses sans parler. Son regard suivit la ligne de la maxillaire pour entamer la joue, le cou, l’implantation des cheveux. Une sensation de paix se dégageait de cette nuque. Mais le point vraiment puissant qui semblait aimanter son regard restait cette zone de mâchoire au dessous de l’oreille. Ici elle lisait l’innocence et la force, entre peau fragile et pilosité drue. Une douceur, une porte ouverte sur des possibles. Elle abaissa son regard et tenta de refouler le trouble et de se concentrer sur sa recherche.
Je ne me serais jamais doutée que notre histoire aurait duré 20 ans.
Se rencontrer dans un rayon de sous-vêtements pour femmes, c’était quand même pas banal. Garry était quand même plus jeune que moi de 10 ans et il n’était pas « gagné » que notre couple fonctionne si bien finalement. Mais là, vingt ans après, notre histoire d’amour s’essouffle pour de vrai. Je m’essouffle, il s’ennuie, je vieillis, il aspire à autre chose, plus de mouvements, plus de projets, plus de soirées… et moi de suis lasse. Nous avons vécu pourtant tant de moments de rêve ensemble. Nos sorties régulières pour m’acheter d nouveaux sous-vêtements : lui qui sélectionnait, moi qui essayait, passant parfois plus de deux heures sans quitter la cabine d’essayage ! C’est ici que se révélait toute notre complicité. Nous riions, nous affolions les vendeuses, nous faisions flamber nos cartes bleues !
Aujourd’hui c’est différent ? Je ne porte plus de soutien-gorge. Nous nous sommes habitués peu à peu à la monotonie de notre vie de couple. Nos enfants ont grandi rapidement et ne nous ont plus « dérangé » dans notre intimité, mais rien n’y a fait : le sentiment de se connaître par cœur, notre incapacité à apporter de la nouveauté et de la surprise dans nos vies nous rattrape aujourd’hui. Nous avons donc décidé le mois dernier de changer. De nous quitter. De nous retrouver chacun avec soi-même. Nous partons en voyage, chacun de notre côté, à pied. Pendant 10 mois. Liberté. Et quoi qu’il advienne de nos cheminements respectifs, nous avons convenu de nous retrouver le 1e octobre 2019 sur la terrasse de l’Alpha, au bout de la passerelle de la gare, pour boire un café et se raconter.
Peut-être… qu’on se retrouvera
Mathilde
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Elle remontait légèrement l’escalier métallique, sa robe colorée l’entourait dans un halo de soleil, ses cheveux noirs épais semblaient peser sur ses fines épaules.
Il ne vit que cela depuis le haut de l’escalier. Cette fluidité lestée par la corolle foncée… où avait-il déjà vu cela ? L’image envahit son regard et son esprit… Arrivé au bas des marches, il se retourna… ses cheveux sautillaient et le soleil leur donnait des reflets auburn, chatoyants et secrets. Il n’avait pas vu son visage. Il se dit qu’il fallait absolument mettre un regard autour de ces cheveux.
Il reprit l’escalier. Ses pensées se perdaient dans la toison, l’envahissaient, le bouleversaient. Il aurait aimé les toucher, les caresser, approcher son visage pour en découvrir le parfum. Ils étaient doux, il en était sûr, ils sentaient bons, c’était évident.
Elle s’était assise et avait pris un magazine. Il ne voyait toujours pas son visage. Seuls ses cheveux noirs soyeux lui faisaient face… Il y entra… souleva les mèches une à une, ses doigts se frayaient un chemin, ils caressaient. La texture soyeuse l’enchantait. Telle une texture de soie, il en cherchait le contact. Il ne voyait pas, il sentait, il ressentait la magie du moment. Il se dit qu’elle devait avoir une peau douce, un charmant prénom…
Il ouvrit les yeux, elle le regardait alors qu’il sortait doucement de sa rêverie. Il ouvrit les lèvres pour lui parler. Elle ne lui en laissa pas le temps et lui dit : « Je m’appelle Eugénie. Et toi ? »
Ma journée avait été compliquée et en revenant chez moi je me sentais vidé. Tel un automate je pris le volant et alluma une cigarette. J’aimais ce moment de sas entre le professionnel et le privé. Je m’y autorisais un vagabondage plus ou moins conscient et nostalgique, protégé dans l’habitacle planant dans la fumée au son d’une chanson d’Etienne Daho.
Parfois je m’y perdais. Parfois je revoyais les moments de ma vie, des flashs plus ou moins agréables. De soir-là, je repensais à ma rencontre avec Eugénie, à notre histoire d’amour, à nos filles aux cheveux aussi noirs et soyeux que ceux de leur mère. La vie passait si vite. Le bonheur glissait entre les doigts… Elle étaient de jeunes filles et mon cœur de père ressentait un pincement en pensant que très vite, elles m’échapperaient. Elle allait partir en Italie pour poursuivre ses études et la cadette venait de passer son bac.
Le trajet me parut bien court…
J’ouvris le portail, les chiens m’accueillirent joyeusement. J’étais un homme heureux et j’allais retrouver la femme que j’aimais. Anna ouvrit la porte et se jeta dans mes bras. Ses cheveux blonds sentaient la vanille. La maison illuminée par le soleil couchant et les babillements de Louis me remplirent d’aise. J’étais à ma place, là où je devais être, gourmand et curieux de la vie.
Françoise