Atelier d’écriture 2 – Echanges épistolaires – Médiathèque L’Alpha

 

atelier d'écriture fabulations alpha

En cette période de confinement, Les Fabulations proposent aux usagers de la médiathèque d’Angoulême l’Alpha des ateliers d’écriture à distance gratuits. Chaque semaine, les écrivants reçoivent par mail un nouveau sujet d’écriture dont le thème est défini en collaboration avec l’Alpha. A la suite de cela, tous les vendredis, nous proposons une séance de lecture partagée via Skype pour faire vivre les textes des participants.  Vous pouvez vous inscrire gratuitement en contactant l’Alpha sur Facebook ou en envoyant un mail à l’adresse c.valgres@grandangouleme.fr.

Sur cette page, vous trouverez les productions des participants sur le deuxième thème de ces ateliers : Les relations humaines à travers les échanges épistolaires. Un grand merci aux écrivants pour leur motivation, leur implication et leur créativité ! N’hésitez pas à vous plonger dans leurs histoires et à leur laisser un petit commentaire :).

Pour cette deuxième semaine d’atelier à distance, nous avons proposé aux participants d’explorer les relations humaines à travers les échanges épistolaires. Et travail à distance ne veut pas dire travail solitaire ! C’est pourquoi nous leur avons proposé de former des duos pour écrire une lettre et sa réponse. Chacun.e devait écrire sous l’identité du personnage qui lui avait été attribué.*

*Ces sujets sont des créations originales des Fabulations, ateliers d’écriture, projet représenté par les personnes morales et physiques de Marie Gréau et Mathilde Durant. Ces créations sont protégées par le droit d’auteur. Toute réutilisation ou exploitation des sujets sans l’autorisation expresse des détentrices des droits pourra faire l’objet de poursuites judiciaires.

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ANA TOMY ET LUCAS RABINE

( Auteurs : Claire et Bruno)

 

Paris, le 7 avril 1762

 

(9h 17s – Début d’écriture)

Très cher Lucas,

Le grand jour est venu. Notre rêve d’étudiants va enfin pouvoir se réaliser : comprendre comment nous pouvons revivre après notre mort. Vous souvenez-vous des heures que nous avons passées vous et moi à observer les cellules de notre peau, persuadés qu’elles portaient en elles l’avenir de l’humanité ? Vous souvenez-vous de notre joie lors de la remise de nos diplômes à l’idée que nos travaux pourraient enfin commencer ? Vous souvenez-vous de ces moments secrets où nous admirions nos échantillons, les vôtres prélevés sur des victimes après que vous ayez validé l’heure et les causes de leur mort, les miens volés à un patient ayant succombé à ses brûlures ? Vous souvenez-vous cette discussion passionnée sur le perron de l’académie de médecine, quand nous avons décidé votre reconversion, nous imaginant déjà, vous tanner les peaux des indigents retrouvés morts dans les rues de Paris, moi leur implanter les cytoplasmes engageants, les noyaux révélateurs, les membranes prometteuses ?

(11h 24mn 38s – Fin du premier épisode narcoleptique et premier réveil depuis le début d’écriture) 

5 ans déjà que nous forgeons notre projet …. Selon vos relevés et la fiabilité de mes indications, je me serais endormie 17542 fois. Et pourtant, j’ai le sentiment d’avoir toujours été éveillée et de n’avoir jamais quitté des yeux la sinuosité des mitochondries, la rugosité des réticulums, la rondeur des nucléoles que j’ai manipulés et examinés. Combien de temps ai-je dormi ? Combien de temps ai-je veillé ? Qu’ai-je vécu consciemment ? En rêve ? Ni vous ni moi ne le savons. Aussi, ce que je vais vous livrer aujourd’hui, très cher Lucas, n’est peut-être qu’une révélation onirique. Je vous laisse donc juger si le moment est venu pour vous, pour nous, de vivre une expérience unique qui marquera l’humanité et donnera sens à tous nos efforts.

(15h 18mn 1s – Fin du second épisode narcoleptique et second réveil depuis le début d’écriture) 

Voici ma découverte : les couches profondes de notre peau recèlent l’histoire de notre humanité, son passé et son avenir. Elles sont reliées aux esprits de nos ancêtres et de nos descendants qui peuvent, par leur intermédiaire, nous communiquer des messages de sagesse. Mais le plus extraordinaire, cher Lucas, c’est que…

(16h 7mn 59s –  Fin du troisième épisode narcoleptique et troisième réveil depuis le début d’écriture) 

…le plus extraordinaire, cher Lucas, c’est que la communication avec nos autres n’est possible que si nos cellules dermiques sont totalement dissociées des autres cellules de notre organisme, vivant ou mort. Elles doivent donc en être extraites et être réimplantées sur des corps minutieusement reconstitués.  N’est-ce pas formidable ? Si vous le souhaitez comme moi, aussi ardemment, vous et moi sommes à la veille de donner naissance à une nouvelle humanité, capable de vivre en harmonie jusqu’à la fin des temps.

(22h 27mn 40s –  Fin du quatrième épisode narcoleptique et quatrième réveil depuis le début d’écriture)

J’espère que vous accepterez de procéder à une première expérience. Dans ce cas, je serai en mesure dès demain de vous fournir le corps d’un pauvre diable sans famille décédé cette nuit. Si, comme je le prédis, cette première métamorphose s’avère concluante, nous aurons donner vie à une créature inédite, la première de notre humanité ressuscitée. Mais alors, et je vous préviens cher Lucas afin que vous puissiez décider en toute conscience, il faudra réinitialiser l’espèce et anéantir tous les humains encore vivants aujourd’hui sur Terre grâce au virus le plus redoutable jamais élaboré, inventé à cette fin dans mon laboratoire.

(Minuit- Fin du cinquième épisode narcoleptique et cinquième réveil depuis le début d’écriture) 

Dans l’attente impatiente de votre réponse, affectueusement et confraternellement,

Ana 

 

 

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Chère Ana,

Votre lettre tombe à merveille. Dans le plus grand secret, pendant que vous prépariez vos expériences, j’étais moi-même confiné dans mon laboratoire, celui auquel on accède par une porte dérobée et qui jouxte mon officine publique. Je travaille en effet depuis notre dernier échange sur un protocole qui ressemble précisément au vôtre, si ce n’est que je me suis servi de chiens et de cochons. Et nos conclusions sont si proches ! J’ai utilisé la peau de plusieurs canidés d’espèces différentes et opérationnalisé mes expériences en préparant les sujets selon la formule biologique de Belon-Wellington que vous connaissez bien. La totalité des chiens a donc été nettoyée au chlorure de soufre et à la dixine à 2%. Et vous allez rire, mais j’ai eu l’idée de rajouter le carbonate de zinc après la mise en solution ! Je ne sais pas pourquoi, une intuition sans doute. Toujours est-il que la solution sentait moins fort et qu’après la remise en place des organes vivants de cochons à l’intérieur des sujets canidés, la compatibilité s’est fortement améliorée (de l’ordre de 28 à 30% si vous avez besoin des chiffres précis). Pour finir, j’ai injecté les anti-inflammatoires en suivant votre préparation, celle que vous utilisez sur les gabariers parisiens et qui les transforme en bêtes de travail. Dès le premier choc électrique, un des chiens a clairement tenté de se relever. Oui, vous lisez bien, la bête s’est agitée devant mes yeux ravis et contemplatifs. Mais cela ne s’arrête pas là, chère Ana, car votre vision, onirique ou non, est bien réelle. Dieu m’est témoin qu’avant de s’effondrer, probablement victime du choc anaphylactique et d’un arrêt cardiaque, le chien m’a regardé droit dans les yeux, comme s’il tentait d’entrer en contact avec moi, puis a grogné plusieurs fois comme un cochon. Là aussi, j’ai clairement senti qu’il tentait de communiquer.

Si vous dites vrai concernant vos recherches sur l’humain, nous sommes probablement ici aux portes d’une découverte majeure, propre à bouleverser notre futur. En tout état de cause, il est de notre devoir de scientifiques de mener à terme un essai sur le corps humain, j’y suis résolu.

Néanmoins, avant que vous ne me fournissiez un sujet, j’aurais besoin que vous me précisiez le mode opératoire du virus dont vous parlez. Pouvez-vous me certifier que les sujets réanimés seront plus sages et sauront se comporter d’une manière plus civilisée et respectueuse que nous ? Ne sommes-nous pas nous-mêmes trop hâtifs dans la mise en place d’une telle arme ?

J’attends votre réponse avec une vive impatience.

Affectueusement et scientifiquement vôtre,

Lucas

 

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Paris, le 25 avril 1762

(3h6mn19s)

Cher Lucas,

Vous devez imaginer la joie qui a été la mienne en lisant votre lettre.

Le carbonate de zinc, bien sûr ! Pour compléter votre découverte, je fais l’hypothèse que les cellules des organes de cochons ont pu brouiller la communication et que la mort du sujet canidé est un message, un avertissement bienveillant pour nous guider.

(26 avril, 1h15mn3s) 

Je préconise donc de renouveler l’expérience en implantant 3 milligrammes des cellules dermiques d’un cochon sur celle d’un chien. Il est probable que le sujet survive et que la communication progresse et perdure.

(9h 24mn 45s)

Malheureusement, je ne pourrai jamais connaître les résultats de cette nouvelle tentative. En effet, mon état a empiré depuis ma dernière lettre. Mes périodes d’éveil sont de plus en plus rares et il ne me reste plus que quelques heures pour vous écrire avant que mon âme ne se désincarne.

(19h8mn17s)

Je vous livre donc le mode opératoire du virus. La première phase est de l’injecter au dernier spécimen connu d’une espèce en voie de disparition. Attention, l’extinction doit avoir impérativement été provoquée par l’espèce humaine. Le corona bleuté de Nouvelle Angleterre me semble approprié.

(27 avril, 9h3s)

En ingérant l’animal, le patient humain zéro contaminera avec une vitesse inégalée, en quelques mois seulement, l’ensemble de ses congénères qui n’auront le temps de trouver ni l’anti-sérum, ni le vaccin.

(28 avril, 13h45mn37s)

Aucun d’entre eux ne souffrira. En effet, le virus a été formulé afin que les cellules dermiques lui résistent et que, durant les derniers instants, nos autres délivrent aux mourants un message les informant du sens de leur mort et les enveloppant d’une joie et d’une douceur inédites et intenses.

(29 avril, 17h5mn16s)

Vous certifier que les sujets réanimés seront plus sages et sauront se comporter d’une manière plus civilisée et respectueuse que nous ? Non, je ne le puis pas mais, alors que cette vie incarnée m’abandonne, j’ai la profonde intuition que le virus n’est pas une arme mais l’outil de notre salut.

(30 avril, 23h59mn30s)

Je vous lègue tous mes travaux. Je sais que vous saurez en faire bon usage. Au moment où je sens le trépas, j’entends comme une voie…. « Grâce à vous, notre découverte sera publiée en l’an 2020, par deux jeunes spécimens féminins de notre descendance, emblématiques de notre humanité future : joyeuse, coopérative, créative et sensible ».

Gardez confiance. Adieu mon ami.

Ana  

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Journal du Dr Lucas Rabine (extraits)

Entrée 40 – 3 Mai

Je viens de recevoir votre courrier, chère Ana, mon âme est meurtrie, ma peine est immense. Mais je pleurerai plus tard, car le temps est compté. Je dois passer au plus vite au laboratoire de la rue Vergne, là où se trouve vos recherches, vos prélèvements, le virus et sans aucun doute votre corps inerte.

Entrée 41 – 4 Mai

Tout a bien fonctionné, j’ai loué les services discrets de deux hommes de main pour déménager l’intégralité du laboratoire d’Ana jusque chez moi, puis je me suis mis au travail. J’avais très peur que quelqu’un la découvre avant moi, mais je suis arrivé à temps pour la trouver morte depuis assez peu de temps pour espérer tenter sur elle notre expérience ultime. Sans perdre un instant, j’ai pratiqué sur son corps le protocole de  Belon-Wellington en oubliant pas le carbonate de zinc et en utilisant les organes de l’individu qu’elle avait gardé pour moi dans sa chambre froide. La procédure fût particulièrement éprouvante, pas seulement parce que j’ai du disséquer mon amie, mais aussi parce que je n’avais pas le droit à l’erreur. Ma rigueur habituelle me permis de surmonter l’épreuve et ce n’est que tard dans la nuit que je pris un peu de repos pour me préparer à l’expérience du lendemain et laisser la solution pénétrer correctement le sujet (pardonne-moi, chère Ana de te traiter en sujet, je compte sur ta grandeur d’âme et tes qualités de scientifique pour me comprendre)

Entrée 42 – 5 Mai

Avec une grande fébrilité, j’ai libéré ce matin une première charge de mes piles à sodium. Mais rien ne s’est passé, si ce n’est le spasme musculaire du corps d’Ana. J’ai donc rajouté 4 piles à la série et attendu le chargement pendant le reste de la journée. Le soir même, j’ai libéré une charge plus puissante en échappant un « Allez » de rage, comme pour réveiller Ana de son sommeil, ce qui, je le savais sans l’admettre, était bien plus que cela. Je devais en fait la ressusciter, je devais ce soir me transformer en Christ lui même, présomptueux que j’étais. Car qui étais-je pour produire des miracles ? Et c’est pourtant ce qu’il advint. Dans une longue inspiration, les yeux exorbités et le corps fortement cambré en arrière, Ana revint à la vie. J’avais mille questions à lui poser, mais je restai tétanisé, n’osant croire au succès de l’expérience. Alors, lentement, elle tourna sa tête vers moi et me parla avec la douceur d’un ange. Elle me révéla que le virus pouvait attendre l’année 2020, que l’humanité avait encore besoin de deux siècles pour apprendre de ses erreurs, qu’il lui fallait connaître guerres, misère et maladies afin d’admettre sa véritable place dans l’univers, une place finalement dérisoire lorsqu’on la rapporte aux illusions de nos égos. Elle m’avoua que les « autres », les essences contenues dans nos cellules, n’avaient aucune souche humaine à proprement parler, qu’elles existaient dans le temps et l’espace sous une forme combinée silico-carbonique, présente à la fois dans le vivant et l’inerte, et transmettant des informations depuis la création du Monde. Enfin, elle prit ma main dans la sienne, qui était si froide, et m’annonça qu’en 2020, un tournant important à notre échelle terrestre aurait lieu, sous la forme d’une publication de nos travaux et de la révélation du destin de deux jeunes femmes emblématiques de notre humanité future. Deux femmes joyeuses, coopératives, créatives et sensibles. Deux descendantes de son être, porteuses elles aussi du savoir des « autres », héritières de cette singulière expérience unissant les cellules d’Ana Tomie et du dénommé Franck Einstein.

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ALBAN DIT, ROSITA et SANCHO COTTE

(Auteurs : Thierry et Bruno)

 

Constantinople

27 Aoûst de l’An de Grâce 1096

Ma douce et aimante Rosita,

Voici près de quastre mois, nous partîmes, moi et mon fidèle escuyer Pablo pour respondre au message divin de nostre Pape Urbain II et bouster hors de Jerusalem les hordes d’infidèles, mécréans et austres branlepiétons en tout genre. J’ai encore en mésmoire ton grand sourire quand je quittai Séville et ton empressement à m’aider à seller ma monture pour que je revins plus vite à tes côstés. Quelle chance d’avoir telle épouse au château !

Il fait très chaud ici, et j’attends Raymond de Saint-Gilles et la deuxième armée pour instégrer leurs rangs. En attendant, j’ai retiré mon armure pour éviter de rôtir comme un faisan à la broche et je m’enstraine au maniement de la masse d’arme à gros picôts. Dieu que cette arme est laide et lourde ! Par malchance, j’ai chu de tout mon long dans l’exercice, emporté par le poids de l’oustil. Mais j’ai bon espoir de progresser afin d’occir autant de Maures que possible (on ne sait jamais, l’un d’eux pourrait passer dessous alors que je lâche au sol les 60 livres de l’engin).  Comme tu le vois, j’ai bon moral et beaucoup d’husmour ! Il ne me manque que la douceur de ton regard et de ta voix lorsque tu chantes le Dei Beatus Stimulatus en me massant les orteils.

Et toi mon aimée, comment avance ton ousvrage de tapisserie ?

Le petit Pollux fait-il proprement ses besoins ?

Oh Pardieu, comme il me tarde de retrouver ma vie simple !

Respond-moi vite !

Sancho

 

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Sevilla, 23 décembre de l’an de Grâce mille quastre vingt seize

Mon aimé, mon doux époux, mon preux chevalier,

Que ne fut ma joye de recesvoir ceste lestre tantôt. Je m’inquiestais depuis votre despart de nostre bonne ville sevillane. Je me languis de vous. Ici, tout est ennui et errance. Je vais d’une pièce à l’autre dans cet immense castel. Je porte avec moi le poids de la tristesse et parfois en perds la raison ! Du moins, dans les premiers jours de vostre absence.

Heureusement, le hasard ou la chance m’a placée sur la route d’un lointain cousin dont j’avais oublié l’existence même. Ne vous avé-je point parler de mon cousin Alban Dit de Toledo ? Sans le sou, un peu gredin, pour tout dire coupe jarret de grand chemin, il vint l’autre jour à ma rencontre et me demanda le gîte pour quelque temps. Je ne fus point longue à hésiter et le conviai en notre castel où je l’installai dans la chambre. Je veux dire celle proche de la mienne.

Mon époux, mon doux aimé, vous me comprendrez n’est-t-il point ? Que la vie est plus douce et le temps moins long qu’en devisant avec cousin Alban, le soir au coin du feu. Comme le froid nous mord en cette morne saison, nous sommes collés l’un à l’autre et nos corps se réchauffent naturellement au contact. Est-ce pêcher que cette proximité? La chaleur humaine vaut bien celle d’une bûche dans l’âtre. Et que vous êtes si loin de moi et Alban si proche. Il me tient par les mains dans les siennes qui sont grandes. Il a le doigt long et épais, un peu sale certes tant il chevaucha par monts et par vaux. Il me conte ses aventures et je tressaille et m’effraie de ses méfaits. Alors il me serre plus fort et son souffle d’ail me réchauffe la joue et le cou et court le long de ma colonne jusques en bas des reins.

Mais que risqué-je donc à me blottir dans ses bras forts ? Vous n’oubliez pas que vous me posates cette ceinture de chasteté avant votre despart. Elle me rappelloie votre absence à chaque fois que je la sens meurtrir mes chairs intimes. D’ailleurs, ceste un grand sujet entre cousin Alban et moi. Lui ne comprend pas l’intérest de cette armure d’entrecuisse tandis que j’ai beau jeu de lui expliquer combien je vous suis fidèle en votre absence et qu’il n’este point sur terre de tentation plus grande que celle de l’amour. J’essaie en vain de résister à l’appel. Je sens mon cousin pressant, je sens, comme le vostre en main que vous évoquâtes dans votre missive le poids de son gourdin. Ne seré-je donc qu’une faible femme, une piteuse épouse qui serais preste à rompre ses vœux de chasteté pour un merveilleux assaut ? Vous boutâtes le Sarrazin là-bas. Dois-je en faire autant d’Alban le gredin ?

Ô mon aimé, mon amour. Si votre guerre devait durer encore, je ne répondrai plus de moi-même tant l’envie est grande de goûter aux douces délices de la chair. Car je suis encore fort jeune et point éteinte ; brusle en moi le feu de la jouissance, sous la ceinture, coule la lave du volcan que vous ne pouvez éteindre car vous futes loin.

Alors, pour calmer mes ardeurs, je tapisse. Je tapisse tout le jour. Je tapisse partout où je peux, dans le jardin quand Phoebus se levoit, près de l’âtre au soir d’hiver, la nuit dans l’alcôve. Je vois que tapisser sans arrêt. C’est l’husmour déplacé du cousin qui le fait parler ainsi. L’este bien lourd parfois cousin Alban !

Mon bien aimé époux, je sens que je défaille, ma pauvre tête m’emporte dans un tourment sans fin.

Je sais que vous guerroyez loin, que le sang appelle le sang et qu’il est de vostre devoir de sauver la Terre Sainte de Nostre Seigneur Jésus Christ. Mais d’ailleurs, vous qui m’avouiez à votre despart la peur qui vous étreignait, savez-vous la combattre cette peur comme vous combattez l’Infidèle ?

Votre rang vous soumet à la guerre. Je devrais vous presser de rentrer mais, comme vous le voyez, je suis en de bonnes mains…alors combattez mon cher, tuez l’ennemi tant que vous le pouvez, prenez votre temps car moi, je suis occupée, à tapisser bien sûr !

Tant que j’y pense, une partie de l’argenterie a disparu ! J’en parlais à mon cousin Alban qui se mit en quête de la chose disparue. Il est parti quelques jours. J’espère de tout cœur qu’il sera de retour pour la Noël ?

Pollux est propre comme un castor, c’est dire !

Je vous embrasse tendrement.

Votre douce et dévouée épouse,

Rosita

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Antioche

Le 4 Avril de l’An de Grâce 1097

Monsieur Dit de Toledo,

Peut-être estes-vous surpris de recevoir telle missive de la part d’un chevalier du Royausme ?

Sachez que vos agissements et viles manigances à l’esgard de mon épousée Rosita sont arrivés à mon endroit et que me voici contraint, Monsieur, de vous jeter à la face mon gantelet en maille lesté. Et bien qu’il me fallut près de six semaines pour rassembler mon courage, sachez que trop c’est trop et que cela suffit. Je n’ai pas peur de vous, Monsieur, pas trop. Et puisque vous profitez lachesment de l’absence d’un Pair du Royausme en jouant de la flûte en roseau à une Dasme en manque d’asventure et de coquisnes attentions, sachez qu’il vous en cuira. Car étant par vœu sacré et par solide piston, tenu de suivre le contingent de ravitaillement loin des furieux comsbats, j’ai tout de même ici fortes responsabilités et ne puis moi même, à mon grand regret, vous coller la réprimande que vous méritez. Mais j’ai pris d’austres mesures !

Je vous sens tremblant, Monsieur, et vous faistes bien de l’estre, car j’en ai gros et j’ai envie de m’esnerver un peu quand même là. Alors fi Monsieur ! Car mon ultimatum est prononcé : Si vous ne prenez pas convenables distances envers Dame Rosita, vous recevrez le premier de trois avertissements, conduisant si déni d’obtempération, à une mise en demeure de suite d’affaires en préjudice. Non, Monsieur, n’implorez pas ma clémence. Ma décision est prise devant huissier, présentement Maitre Abdoul, huissier à Antioche. C’est votre dernière chance, Monsieur, enfin la première des trois, alors ne la mansquez pas et filez loin, en Terre Germanique par exemple.

Je ne vous salue que partiellement, Monsieur.

Sancho Cotte

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Sevilla, en l’An de grâce 1097, le 18 aoust

El seňor Cabalero Sancho Cotte,

Tout d’abord, yé tiens à vous dire que y’ai dou faire appel aux bons soins d’un écrivain poublic pour écrire ceste lettre. En effet, vous né sérez pas sourpris d’apprendre que yé neésais ni lire ni écrire. Y quand on m’a collé dans les mains vostre missive yé dois dire que y’ai hésité entre mé mouchoyer dedans ou mé torchoyer le coul avec cé qui out été pour moy d’oune outilité plous immédiate et plous grande.

Mais avant qué dé parcourir vos lignes d’oun derrière distrait, votre charmante épouse la Sinora Rosita m’a conseillé de m’enquérir dou contenou afin que yé prenne toute dispossicion à son égard pour lé cas où elle courrait grand danger ou qué vous-même fites part dé nouvelles fâcheuses à vostre encontre. Y’avoue, si, y’avoue, né pas comprendre un traîstre mot à ces derniers mais y’ai toute confiance en cé scribe poublic pouisqu’il écrit sous la contrainte dé ma râpière et dit à haute et intelligible voix cé qué yé pense tout bas.

Vous m’avez donc percé à your. Yé né pouis point mé cacher plous longtemps. Y qu’ouis-je ? Vous mé ménacez ? Un poco ? Mais mon Bon, ménacez-moi plous encore et peut-être m’en trouverai-ye tout rétourné ! Tel qué vous né mé voyez pas à cet instant, yé tremble, yé transpire et mes yenoux youent des castagnettas si bien qué Rosita doit mé ténir qué yé né m’écroule. Y vous dirais-yé qué d’être tenou par Rosita este oune doucé récompense, oun délice, oun ravissemente sans fond. Yé sais, yé vous titille, yé vous provoque mais yé vous avoue qu’il est difficile de résister aux charmes de la belle, no?

Ô Caballero Sancho, n’en soyez point affliyé, car cé qué yé vis avec Rosita, vous lé vivez à travers moi. Vous êtes loin et comme l’on dit loin des yeux, loin dou coeur. Mais grâce à mes bons soins pour l’épousée, yé contente l’époux absent, par procuration en quelque sorte. Vous participez à nos coquinéries. C’est ainsi qu’il faut lé prendre. Il n’y a qu’un obstacle à la cour qué yé fais pour vous : cette maudite ceintoure. Y’ai tout essayé pour la défaire, yé m’en souis même coupé la langue ! Et tout ça pour vous faire plaisir ! Et vous mé ménacez et mé promettez des poursuites et les foudres de la youstice par cet Abdoul ? Vous vous moquez l’Hidalgo, vous mé maltraitez, mé méprisez, mé déconsidérez ! Il souffit ! Qué vous lé vouliez ou non, yé n’aurai dé cesse qué dé briser cette entrave qui obstrue cé qué yé convoite.

Pensez comme vous vous régalerez quand enfin les trésors de votre belle seront miens et par voie de conséquence, vôstres ! Alors, dites-moi où este la clé qué yé délivre la prisonnière et qu’enfin yé la loutine tout mon saoûl car vous auriez la moitié dé l’appétit que y’ai pour la chair, vous né sériez point parti vous cacher chez lé Sarrazin pour n’y même point faire la guerre, couard que vous êstes. Dé plous, pour finir, vous mé rémercierez en rentrant, si vous rentrez avec tous vos abatis intacts, vous me rémercierez d’avoir si bien entreténou la dame Rosita. Pensez qu’à la négliger tout cé temps vous auriez retrouvé son hymen intact comme celui d’une jouvencelle à déflorer sacré nom !

Bah, tenez, yé ne vous en veux pas dé vos menaces, yé sérai, pour une fois, grand seigneur.

Yé vous pardonne.

Rosita vous passe lé bonyour.

A D lé bienfaiteur

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Damas

Le 28 Décembre de l’An de Grâce 1097

Monsieur Dit de Toledo,

Vous m’avez réspondu à la vitesse d’un lapin en rût et en des termes que j’ai du faire déscoder par un bourrebranleur de la ville basse de Damas (qui au passage prend fort cher pour un tel service, tout en vous transmettant deux ou trois vilaines maladies et toute une génération de puces des marais, celles qui passent sous l’armure et pompent en quelques heures l’équisvalent de huit moustons). Or, bien du temps passa depuis ma dernière missive. Godeffroy de Bouillon a contracté la pisserose sous sa forme minérale, c’est à dire celle qui vous brosye les canaux naturels. Puis nous avons à nouveau perdu la ville de Maras, du moins c’est ce qu’on a compris depuis l’arrière des lisgnes où je crousle sous les responsabilités. Car oui, Monsieur, ne vous en désplaise, je travaille dur et sans compter. Je prends aussi des risques et suis entièrement alité depuis que j’ai tensté de soulever une urne en terre cuite qui me vrilla vilainement dans l’entrecuisse, au point d’y verser une larsme de douleur. C’est durant ces moments de souffrance que j’ai été traisté par Mohamed, jeune éphèbe à peine pubère et aux doigts d’or. Alors que je craisgnais mourir de douleur et pensais rejoindre notre Seigneur Jésus Christ et les martyrs de la Sainte Croisade, l’habile Mohamed su trouver les moyens de résduire mon supplice inguinal, au point d’apporter à ma vie une vision plus… tactile de la tâche de chevalier Pair du Royausme. Soucieux de garder ici mes haustes fonctions en Terre Sainte, j’ai pris la décision de rester sur place et d’ach..d’adopter le jeune Mohamed pour le prensdre.

Sous mon aile.

Vous ausrez donc compris que je vous charge du bon soin de Rosita, à qui je laisse Pollux et une rente de 10 livres par semaine. Le reste de mes possessions sera transféré en Orient sous la supervision de Maitre Abdoul, huissier à Antioche.

Ah oui, la clef.

Sachez que mon fidèle escuyer Pablo a eu l’idée de faire avaler l’objet à ce bon Pollux, que vous devrez probablement ousvrir en deux afin d’assouvir vos mœurs déspravées.

En vous souhaitant, Monsieur, plein de bons plaisirs.

Sancho Cotte

Le chevalier sans trop de peur ni de reproches, finalement

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ZABOU KAY et VERONICA POTTE

(Auteurs : Christiane et Raphaëlle)

 

Mademoiselle Zabou Kay

2 rue Chérubini

4ème étage gauche

Paris 2ème

À

Madame Véronica Potte

12 rue Chabanais

Paris 2ème

 

Paris, le 10 Avril 1930

Madame,

Je viens par la présente formuler auprès de vous une requête, dont, je l’espère, vous comprendrez le bien fondé.

J’ai pris la plume afin de vous atteindre. En effet, je me suis présentée à plusieurs reprises au 12 rue Chabanais, afin de solliciter un entretien avec vous. L’une de vos sous-maîtresses, chargée de l’accueil des clients, m’a très mal reçue et reconduite à la porte sans ménagement. Or, je dois impérativement vous entretenir d’un sujet de la plus haute importance.

Je vous adresse tout d’abord mes plus vifs remerciements. Grâce au Chabanais, que vous dirigez d’une main si experte que le tout Paris masculin des beaux quartiers s’y presse nuit et jour, oui grâce à vous, j’ai fait la rencontre dont toute femme rêve en secret.

Vous me connaissez, sans doute. Dans le quartier, on m’appelle Zabou. Je suis marchande de violettes devant le square Louvois. Je vois passer toutes sortes de gens. Parmi eux, les beaux messieurs qui se rendent dans votre établissement. Je les connais tous, même si aucun d’entre eux n’a daigné croiser mon regard au passage.

Aucun … sauf l’un d’eux.

C’est de ce Monsieur dont il s’agit. Louis du Pactole, banquier et homme d’affaires, l’un de vos clients les plus prestigieux.

Depuis quelques semaines, Monsieur Louis du Pactole a pris la charmante habitude de me saluer, d’échanger avec moi quelques mots et de fleurir sa boutonnière avec un bouquet de mes violettes. Ce détail ne vous a certainement pas échappé.

Lorsque nous nous parlons, sa fébrilité le trahit, il aimerait tellement prolonger notre tête à tête. Et pendant que j’installe avec d’infinies précautions le bouquet que je lui ai réservé, il semble défaillir de bonheur et d’impatience. Il m’aime, n’ose se déclarer, mais il en brûle d’envie. Il m’a confié que la jeune Germaine, l’une de vos nouvelles recrues, aime beaucoup cette petite fleur, et pour lui faire plaisir, il lui rend visite avec mon bouquet. Quelle attention délicate … il me prouve ainsi que je suis la seule et unique, l’élue de son cœur.

Il part ensuite, d’un pas pressé, mes violettes à la boutonnière, vers le 12 rue Chabanais, où Germaine et vos pensionnaires ne rêvent que d’être choisies par lui.

Mais Louis n’est pas un «client» comme les autres. Il ne pense qu’à moi, son Isabelle pure et sincère. Zabou n’existe plus. Je suis Isabelle, sa future épouse.

Dans les jours qui viennent, n’y tenant plus, il va sans nul doute me déclarer sa flamme. Puis il m’installera dans son hôtel particulier, où nous serons follement heureux, loin de la rue Chabanais et du square Louvois.

Aussi, Madame, je vous prie instamment de ne plus autoriser Louis à franchir le seuil de votre établissement. S’il se rend chez vous, c’est dans le seul but de me rencontrer. Il n’a que faire de vos filles débraillées. Et la jeune Germaine devra jeter son dévolu sur un autre porteur de bouquet.

S’il le faut, je demanderai à Louis de vous verser une somme qui vous aidera à renoncer au revenu confortable que ses visites vous procuraient. A la veille de notre union, tout doit être limpide, comme l’amour qui nous unit.

Recevez, Madame, mes salutations.

Zabou Kay

 

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Madame Véronica Potte

12 rue Chabanais

Paris 2ème

 

À

Mademoiselle Zabou Kay

2 rue Chérubini

4ème étage gauche

Paris 2ème

 

Paris, le 11 avril 1930

Chère Mademoiselle Zabou Kay,

Vous avez pris la peine de m’écrire mais je ne suis pas surprise. A vrai dire, cela ne m’étonne pas de vous….

Je vois très bien qui vous êtes : cette petite marchande de violettes du coin de la rue. Je dois reconnaître au moins une chose à votre sujet : vous êtes persévérante. Venir tous les jours vendre vos bouquets de violettes dont l’odeur, à la longue, m’insupporte, je l’avoue, non, moi, je préfère des parfums plus nobles comme ceux de la rose ou encore du jasmin. Mais il ne s’agit pas de moi.

Vous m’expliquez donc que Monsieur Louis du Pactole, un de mes clients les plus prestigieux, vous avez raison, vous aime et qu’il vous épousera bientôt. Serait-il assez bête pour ne pas s’être encore déclaré à vous, alors qu’il est transi d’amour ? Et comment ce fait-il que malgré son amour « flagrant » pour vous, il franchisse encore les portes du Chabanais ?

Voyons ma pauvre Mademoiselle « Isabelle », réfléchissez un peu ! Vous êtes-vous regardée ? Vous me parlez de fébrilité, de bonheur et d’impatience ? Vous ne pouvez rivaliser avec Germaine. Elle est si jeune, si fraîche, si délicate, si innocente qu’il n’y a qu’elle qui peut inspirer à Monsieur Pactole de tels sentiments. Sans parler de son « expérience »….Elle connaît si bien votre « Louis » !

Et m’avez-vous vue, moi ? Comment pourrais-je interdire l’accès à mon établissement à ce Monsieur ? Je vois bien que vous êtes complètement folle. Folle de lui, visiblement, mais aussi folle tout court. Vous feriez mieux de vous occuper de vos violettes et de vous trouver un autre « amour ». Peut-être celui-ci osera-t-il vous déclarer sa flamme en vous disant – comment dites-vous ?- que vous êtes « la seule et l’unique, l’élue de son cœur » !!

Une dernière chose : ne venez plus me déranger. Je suis une femme occupée à gérer de façon excellente un prestigieux établissement et vous écrire me fait perdre du temps.

Salutations, Mademoiselle « Isabelle », « pure et sincère » telle la Pucelle d’Orléans…..

Madame Véronica Potte

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HERVE GANNE ET ARMAND LEFRANC

(Auteur : Laetitia B.)

 

Devine qui t’écrit ?

C’est ton vieux pote de primaire, Hervé ! ça fait une paye, pas vrai ? Je vois d’ici déjà ta tête : nom de dieu, Hervé, incroyable !

Moi, couché sur papier, ça t’en bouche un coin, non ?

Tu dois te demander comment je t’ai retrouvé. Tout ça, c’est de faute mon Armand, tu habites toujours la même adresse à Paris depuis 15 ans. T’as jamais été un aventurier. Remarque, c’est moi qui te dis ça : j’ai jamais quitté Saint-Sulpice-Le-Guéterois ! Toi, au moins, tu joues dans la cour des grands, tu vis à la capitale ! Bref, tout ça pour dire que j’avais gardé l’enveloppe de ton faire-part de mariage avec ton adresse, j’ai toujours les dragées figure-toi.

Quelles sont les nouvelles de ton côté ? Quelle chance tu as de vivre à Paris. Bon, c’est sûr, il faut avoir les moyens, mais les billets de banque doivent pousser dans ton jardin, je me trompe “monsieur le directeur” ? J’ai revu Rémy (tu te souviens de Rémy ? Le petit roux aux oreilles décollées, “Dumbo” pour les intimes, faut dire qu’on n’a pas arrangé les choses de ce côté-là). Il a travaillé avec toi si j’ai bien tout compris. Bref, je sais que tu es séparé de ta femme… mais tu n’as pas perdu de temps mon salaud, de nouveau en couple ! Tu m’oublies pas pour les prochaines dragées !

Ici à Saint-Sulpice-Le-Guéretois, quelqu’un s’est endormi sur le bouton “pause” du lecteur VHS. Rien, strictement rien ne change. Ah si, le bar de la vieille Francine est fermé. Faut dire qu’elle est morte et que personne n’a voulu se lancer dans les œuvres sociales pour alcooliques. Tu te souviens du bar en zinc ? Si t’avais le malheur de poser les coudes dessus pour siroter ta roteuse, t’étais bon pour passer tes fringues à la machine en rentrant.

J’ai toujours mon boulot aux abattoirs. C’est le fils qui a repris, une vraie tête de con celui-là, toujours à nous rabâcher ces histoires de rentabilité. Avec les copains, on a exigé des steaks de soja à la cantine, rien que pour l’emmerder ! La paye, ça vaut pas tripette, à peine suffisant pour vivre. C’est pas comme si j’avais l’occasion de dépenser de l’argent : ici, y’a autant de distractions qu’un louis d’or dans un seau de merde.

D’ailleurs, une nouvelle qui va te chagriner : le club de foot a fermé. Plus assez de joueurs, plus d’entraîneur, plus d’argent. Tout fout le camp. Si tu savais, les gens traînent leur peine le dimanche et chacun reste chez soi. Les matchs et les 3ème mi-temps chez la Francine, c’est de l’histoire ancienne. Pourtant c’était chouette, tu te souviens ?

Dis-donc, je me demandais, tu collectionnes toujours les dédicaces de joueurs de foot ? Tu dois avoir une sacrée collection non ? Ta banque qui sponsorise le PSG : à toi les signatures, les loges privées et le champagne avec Cissé !

La nuit dernière, j’ai fait un rêve : toi, moi, au Parc, pour la finale de la Coupe du Monde. Comme au bon vieux temps, avant que tu quittes le village, avant que je reste. Avant que la couche de poussière accumulée sur nos souvenirs soit aussi épaisse que sur le zinc de la Francine. T’en dis quoi ? Avec tes relations, tu dois pouvoir nous trouver deux places pour assister à l’événement de l’année, que dis-je, du siècle ! Dans mon rêve, la coupe, elle était à nous, à nous je te dis ! Toute la France ne faisait qu’une seule et même entité vibrante, à l’unisson dans un rêve commun, c’était beau, c’était bleu.

Je compte sur toi mon vieux pote. J’attends de tes nouvelles. Je suis là, je ne bouge pas.

Hervé

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Hervé,

J’ai bien reçu ta lettre.

Un simple bout de papier arrive par la Poste et mes souvenirs amers refont surface.

En revanche, tes souvenirs ont le parfum rance de la nostalgie, du bonheur des jours meilleurs. Le foot, les copains, la camaraderie.. A l’époque de nos 15 ans mon cher Hervé, la perspective de faire partie de l’équipe me semblait l’ultime aboutissement de ma vie d’alors, coincé que j’étais entre ma mère célibataire dépressive et mes complexes physiques. Mais ça n’a jamais été possible de partager une place au royaume des petits dieux aux crampons. Pourtant,cela signifiait bien plus que de taper dans un ballon. Intégrer l’équipe pour les enfants et les adolescents que nous étions,était une forme de consécration sociale qui déterminait les 3 ou 4 années suivantes. Ne pas en faire partie, c’était au mieux la transparence totale, au pire les brimades. C’est ce que vous avez choisi toi et ton “vieux pote” Rémy me concernant. Ta mémoire te joue des tours mon pauvre Hervé. Armand et Rémy ne semblent ne faire qu’un pour toi. Quelle ironie, n’est-ce pas ? J’ai tant désiré faire partie de votre bande.

En grandissant mes oreilles ont trouvé leur place dans mon visage. Je n’ai jamais joué au foot, mais mon fils lui, fait des merveilles dans l’équipe espoir du PSG. J’assiste régulièrement aux matchs au Parc grâce à mon travail, pour ça au moins, tu as vu juste. Comme tu vois, je n’ai jamais partagé les souvenirs que tu évoques dans ta missive. Les jours meilleurs sont bel et bien arrivés pour moi et je les vis avec intensité et bonheur.

Comme toi, je pense que cette coupe du monde nous appartient. J’irai voir la finale, avec ma famille et mes amis. Sans toi.

Porte-toi bien à Saint-Sulpice-Le-Guéretois. Je n’y ai jamais remis les pieds depuis le décès de ma mère.

Armand

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MONICA BELLEVUE et FLAVIE AILLEPIT

 ( Auteurs : Gabrielle / en attente d’autorisation de publication de la participante n°2)

Monica, à Flavie

Bonjour chère Flavie,

En te lisant j’ai la sensation que tu n’as pas tenu compte de nos dernières séances de tirage… Qu’as-tu fait de mes conseils sur le « lâcher prise » ? As-tu seulement pris la peine ne serait-ce que de tenter de mettre tes « énergies », comme tu le dis si bien, au service de l’art du lâcher prise ?

Quoiqu’il en soit, cette fois-ci j’ai pris la liberté de tirer les cartes à distance, et bien que la précision du résultat puisse s’en trouver amoindrie, ce dernier ne m’étonne guère… J’ai tiré par trois reprises la même carte. Je ne m’épancherai pas ici sur les détails mais pour te dire l’essentiel, elle représentait une graine. Quelle carte passionnante ! Et extrêmement révélatrice ! Sais-tu mon amie ce que cette carte symbolise ? Flavie, de la graine apparaît un arbre qui, comme tu peux t’en douter, est symbole de vie et d’épanouissement. Tu y verrais comme à ton habitude un signe de succès et de réussite professionnels. Et comme tu sais bien me le rappeler, le pouvoir de l’interprétation est fondamental, dans ce genre d’exercice spirituel.

Mais Flavie, ma chère amie, tu dois me croire. Je le sens, je le vois. Je dois te guider sur la bonne voie, car tu te perds. Il m’apparaît de manière très claire que ce tirage nous révèle qu’il est temps pour toi de cesser de ne penser qu’à ta carrière ! L’arbre t’appelle à la sagesse. Internet, ce n’est pas sage ! Excuse-moi de ma franchise ma chère amie, mais tu n’es focalisée que sur des choses futiles ! Comment veux-tu que tes énergies te soient profitables alors qu’elles sont constamment sollicitées par des choses à ce point énergivores ? Il m’apparaît clairement que ce confinement a été mis sur ta voie dans un but bien précis. C’est une véritable chance que t’offre la vie ! Elle met sur ta route une période propice à l’introspection, un retour sur soi, une véritable exploration de soi-même. Le lâcher prise t’appelle et tu dois le saisir, Flavie !

À nouveau, pardonne-moi de ma franchise, car ceci ne te sera pas plus agréable aux oreilles… Mais Flavie, la graine, si elle est symbole d’épanouissement futur, est également symbole de renaissance. Pas besoin de te faire un dessin. Pour renaître de ses cendres, il faut savoir mourir !

Ma chère amie, si tu levais la tête pour regarder ta voie qui s’éclaire, tu verrais que ton nombril n’est pas le centre du monde.

En espérant te revoir bientôt,

Monica Bellevue

 

Auteur : lesfabulations

Ateliers d'expression créative en Nouvelle-Aquitaine Structure dirigée par Marie Gréau et Mathilde Durant

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